DeBout! Pinault fait tomber Rennes à la renverse

Ça y est, le collectionneur Pinault a posé ses œuvres à Rennes. « Une expérience forte dans le Couvent des Jacobins » avait prévenu Nathalie Appéré, maire de Rennes.

Quoi de mieux que ce Couvent, classé monument historique pour laisser s’exprimer les œuvres des artistes de renommées internationales.

Pour ceux qui n’avaient pas pris leur billet pour Venise, où François Pinault en met déjà plein les yeux au Palazzo Grassi, inauguré en 2006 et à la Punta della Dogana, ouverte en 2009, Rennes a fait le nécessaire : du Couvent au musée des Beaux-arts, en passant par la Criée, du Pinault en veux-tu en voilà.

Voilà aussi une exposition où se reflète toutes les turpitudes de l’Histoire. Caroline Bourgeois, commissaire de l’exposition fait les présentations : « les œuvres choisies renvoient à la notion de fatalité. » Resté Debout face au cahot de la vie, face aux épreuves. Debout ! qui sonne comme un ordre quand le destin collectif des hommes plie, sombre dans la violence, l’esclavage, le désarroi, la barbarie, la peur. Les artistes choisis se rapprochent des contorsionnistes : ils mettent notre conscience dans des postures inhabituelles. A coup sûr, difficile de rester indifférent face aux œuvres proposées.

DeBout ! Sauf Hitler à genoux.

Il n’y a pas à dire, le lieu sublime les pièces exposées. L’espace, la luminosité, les vieilles pierres conjuguées au verre, à l’acier, tout cela créé un environnement dans lequel il est agréable d’évoluer. Tourner autour de la Ferrari Dino accidentée de Bertrand Lavier, entourée de grandes baies vitrées est assez jouissif. Bientôt, elle serait dans la rue.

Thomas Schütte. Grosse Geister Nr.9 und Nr.13, 1997-1998
« Quelqu’un peut fermer la fenêtre, je suis en plein courant d’air ! » Thomas Schütte. Grosse Geister Nr.9 und Nr.13, 1997-1998

Le jeu des vitraux derrière les statues de Thomas Schütte Grosse Geister Nr.9 und Nr.13 et leurs reflets métalliques amènent une poésie intéressante.

Au milieu du cloître, trône un petit ado, nu, peint en blanc et tenant une grenouille suspendu par une patte. Semblable à une statue grecque, Le Boy with Frog de Charles Ray, titille l’oeil quand on avance dans la visite en tournant autour du cloître ; par les baies vitrées, on découvre de nouvelles perspectives, un clocher d’église, un coin de ciel, l’alignement des arches du cloître.

Autant le dire, François Pinault a eu raison d’attendre la rénovation du Couvent des Jacobins pour y exposer sa collection, lui qui a suivi de près les travaux.

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Hitler au coin. Him, 2001. Maurizio Cattelan, 101x41x53cm. Collection Pinault

Et puis, il y a Hitler en nain, à genoux face à un mur blanc (Him). Saisissant de réalisme, c’est un sentiment dérangeant quand on tourne autour, scrutant les détails de cette reproduction en cire et résine (avec de vrais cheveux humains) de l’ancien dictateur, qui ressemble à un élève puni, au coin, face au mur. Ou bien, il prie, les mains jointes. Il prie le Christ décapité de Danh Vo qui se trouve crucifié sur le mur de derrière. En fait, on veut pas trop savoir, tellement apeuré à l’idée que tout à coup la statue se mette à bouger.

Fucking Lèche-vitrine

Une des œuvres la plus saisissante est celle de Jake et Dinos Chapman . Déambuler au milieu de leurs vitrines qui mettent en scène la seconde guerre mondiale peut vous happer pendant de longues heures (à condition d’avoir l’estomac bien accroché tout de même). Des maquettes de charnier avec des décors, des personnages miniatures sont sous verre. Les détails, le fourmillement de soldats SS, la succession des scènes : de tortures, de noyades, de cochons dévorant des restes humains, parleront aux fans de Warhammer ou de Walking dead. Le travail artistique présenté ici est tout simplement hallucinant. Et derrière tout ça bien sûr, la symbolique de cette oeuvre : on est penché, protégé par une simple vitre, sur l’apocalypse nazi : Fucking Hell, tel est son nom. Notre regard passe d’un détails à un autre, de l’écœurement à l’étonnement. La disposition des 9 vitrines forme une croix gammée que l’on me précise : il faudrait avoir du recul pour s’en apercevoir, mais difficile tellement la violence et la minutie de ces maquettes vous collent le nez à la vitre.

Fucking Hell
  Warhammer version gore… Jake and Dinos Chapman. Fucking Hell, 2008.

Autre démarche artistique intéressante, celle de Paulo Nazareth (Cadernos de Africa) qui, dès la première salle de l’exposition, propose de repartir avec une photo tirée sur papier disposée sur des palettes en bois. un petit bidon en métal est posé par terre, dans lequel vous pouvez glisser 3 euros pour repartir avec un souvenir de son œuvre. Combien de visiteurs oseront glisser quelques pièces et récupérer la photo qui leur plaît le plus ? L’art nous le dira… Ou bien le commis au comptage des affiches.

Voilà un petit zoom sur quelques œuvres de cette exposition Debout ! qui en compte une soixantaine. Pour François Pinault, cette exposition « présente des œuvres qui expriment notre capacité à affronter une réalité de plus en plus complexe et difficile. » Alors, au lieu de farnienter en faisant les malins à la plage cet été, venez vous frotter à cette complexité (jusqu’au 9 septembre 2018).

 

Charles Ray. Boy with Frog, 2009
« J’ai trouvé une grenouille ! » Charles Ray. Boy with Frog, 2009.

La suite de l’exposition Debout ! se déroule aussi :

 

Informations pratiques : ici

La Criée, Centre d’Art contemporain, Rennes

Musée des Beaux-arts de Rennes

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